Le début de la carrière de Mœbius au cinéma est paradoxalement marqué par un échec. En 1973, Alejandro Jodorowsky qui à l'époque est déjà connu pour ses films, rencontre Giraud dont il apprécie le travail dans Blueberry. Il lui propose de collaborer sur l'adaptation de Dune, un roman de science-fiction de Frank Herbert. La création du story-board est un travail monumental d'une durée de neuf mois, mais malheureusement les efforts ne portent pas leurs fruits. Les producteurs ne peuvent pas répondre aux exigences de la distribution hollywoodienne. Le projet est donc abandonné.
Toutefois, la carrière cinématographique de Mœbius ne s'arrête pas là. Le nom du dessinateur circule dans le milieu et un certain Ridley Scott va s'intéresser au travail de l'équipe Dune. Le réalisateur propose à H.R. Giger et Mœbius de collaborer sur son prochain film : Alien. H.R. Giger invente et dessine la créature tandis que Mœbius conçoit les costumes. Mœbius ironise sur ce projet : « quinze jours de travail et des années de retombées médiatiques et publicitaires ».[1]
Le dessinateur participe également au film d'animation Les Maîtres du temps, réalisé par René Laloux et adapté du roman L'Orphelin de Perdide de Stefan Wul, qui sort en 1982 et rencontre peu de succès en France. Mœbius travaille sur le story-board et participe à la création des costumes et des décors de Tron réalisé par Steven Lisberger. Il contribue également aux designs des films Abyss, Willow et le Cinquième Élément de Luc Besson. Mœbius réalise aussi certaines affiches de films, dont Spys sorti en 1974.
Le cinéma a beaucoup inspiré la création et le développement du personnage de Blueberry. Pour l'anecdote, le Lieutenant Blueberry porte les traits de l'acteurs Jean-Paul Belmondo.
L'artiste affirme que le cinéma possède un niveau de magie que la bande dessinée ne peut pas atteindre. Le dessinateur créée tout à partir d'une feuille de papier et d'un crayon, tandis que le metteur en scène va puiser dans les ressorts de l'humain, de ses acteurs pour créer tout un imaginaire.
Cependant, s'il aurait aimé faire plus de cinéma, Mœbius ne témoigne d'aucun regret. Dans une interview accordée à Télérama en 2010, il confie « J'aurais bien aimé aussi être danseur ou grand musicien, mais je n'ai qu'une vie et, dans ces arts, l'engagement doit être total. [...] Faire un film m'angoisserait : trop de gens, trop de choses à gérer, la crainte aussi de perdre le contrôle, de voir mon projet initial se diluer dans le talent des autres. »
[1] Numa Sadoul, Docteur Mœbius et Mister Gir, Casterman, 2015, p. 106
Mœbius voue un culte à la culture de l'avant-garde qu'il associe dans les années 1960 au free jazz, le bebop et à des musiciens comme Charlie Parker, Albert Ayler, Miles Davis ou John Coltrane. Il est fasciné par le free jazz et le jazz classique, et compare la diversité des deux styles à la dualité qui sépare Gir et Mœbius.
En 1974, il confie à son ami Numa Sadoul avoir toujours rêvé d'être musicien. « J'ai une guitare depuis plus de quinze ans mais je connais tout juste trois accords ! »[1]. Sa passion l'amène parfois à jouer lui-même en dépit de son manque de pratique.
Pour Jean Giraud, le plaisir de la musique et du dessin se distinguent par leur temporalité. Il considère le dessin comme quelque chose de figé, alors que la musique est éphémère : « une communication directe, quelque chose de magique, d'intangible ».
Illustration de Jimi Hendrix réalisée par Moebius
[1] Numa Sadoul, Docteur Mœbius et Mister Gir, Casterman, 2015.
Jean Giraud, c'est deux mondes et deux esprits distincts : Gir et Mœbius.
Le début de la carrière de Jean Giraud est enraciné dans le western américain. Il est marqué par la série Blueberry qu'il conçoit en tant que Gir avec le scénariste Jean-Michel Charlier, et pour laquelle il dessine pendant quarante ans. Pour Blueberry dont le première épisode paraît en 1963, Gir travaille
dans un cadre réaliste et rigoureux qui ne lui permet pas toutes les fantaisies auxquelles il aspire.
Mœbius est un tout autre jeu. Pour son second pseudonyme, Jean Giraud s'est inspiré du « ruban de Mœbius », une forme géométrique tri-dimensionnelle évoquant l'infini. Mœbius est le dessinateur qui brise les cadres et qui ne se limite pas au réalisme. La liberté créatrice le conduit vers la science-fiction et les profondeurs de l'existence humaine. Il justifie son approche en considérant deux mondes distincts : « Celui de l'enfant et celui des adultes, et nous appartenons également aux deux, passant de l'un à l'autre pratiquement sans nous en rendre compte. C'est mon explication de la double face Gir-Mœbius. ».[1]
Entre Gir et Mœbius, il n'y a donc pas seulement un changement de genre, mais également de langage et de style. Le dessin de Mœbius n'arrête pas d'évoluer et varie avec l'esprit de l'auteur. Bien que son trait reste contrôlé, son travail est improvisé. Contrairement à Gir qui privilégie le pinceau, Mœbius préfère la plume et ose la coloration directe. Par exemple, dans L'Homme est-il bon ?, le dessinateur n'utilise pas le bleu et colorise directement à l'aquarelle. Pour Mœbius, il ne peut y avoir de « fautes » dans son dessin car il se fixe lui-même les règles. A contrario de Blueberry où l'auteur doit respecter une certaine homogénéité de couleurs et de cadrage.
Mais Gir et Mœbius arrivent parfois à se rencontrer. Le désert incarne un de ces carrefours. On retrouve cet environnement mythique à la fois dans Blueberry, le western et sur d'autres planètes que dépeint Mœbius dans ses récits de SF. L'auteur voit dans l'exploration des environnements arides une portée symbolique. « Je sais par ailleurs que le désert est le lieu rituel de la méditation biblique. Je pense que le but du méditant est de tenter de réduire la réalité ordinaire dans laquelle nous baignons tous, en un désert virtuel d'où pourra jaillir la vision »[2] Pour lui, le désert représente la liberté de l'imagination.
[1] Numa Sadoul, Docteur Moebius et Mister Gir, Casterman, 2015, p. 124
Tout deux pratiquaient des arts différents, mais étaient animés de la même passion créatrice. Le réalisateur de La Dolce Vita et de Satyricon louait en effet le talent du dessinateur Mœbius, de la même manière qu'il appréciait celui de Matisse ou de Picasso. Pour l'Italien, l'art de Giraud était du même niveau que ces grands maîtres de l'Art moderne. Chacun trouvait en l'autre un reflet tant spirituel qu'intellectuel, autant d'affinités qui achèvent de tisser entre les deux créateurs un fort lien artistique. Nous vous laissons découvrir des extraits de la correspondance des deux hommes, et imaginer ces deux rêveurs en pleine collaboration dans l'autre monde.
Printemps, 1979
Federico,
Je voulais t'écrire le jour même de notre rencontre, puis le lendemain, puis chaque jour… mais, le programme d'un voyageur est imprévisible, le mien en tout cas est fort chargé. Et ce n'est qu'aujourd'hui que je peux enfin réaliser mon souhait.
Bien sûr, je pensais à exprimer les remerciements comme il est d'usage… mais la force de ce que j'ai vécu au cours de notre rencontre est telle que le cadre des usages me semble éclater en mille morceaux.
Je sens encore la bonne énergie qui m'a soudain enveloppé dès que nous nous sommes vus, comme si un ange nous entourait de son aura chaleureuse.
Je sens encore la bonté de tes bras lorsque tu m'as étreint contre toi, comme si j'étais soudain un jeune garçon serré affectueusement par un oncle gigantesque…
Quelle expérience ! J'avais rarement été plongé dans un tel bain de jubilation intérieure, avec une si belle mousse de satisfaction intellectuelle et un tel parfum de justesse spirituelle.
Je vais arrêter de violer ta modestie avec mes compliments, on a déjà dû te les faire mille fois. Sache cependant que tu as fait un très beau cadeau à Mœbius et que l'œil qui aide à choisir les bonnes lumières n'a pas été reçu sur le plan uniquement matériel.
J'espère avoir encore l'occasion de te rencontrer… En attendant je te souhaite belle vie, avec amour, amours et lumières, et lumière !…
Jean « Mœbius » Giraud
Rome, le 23 juin 1979
Mon cher Mœbius,
Tout ce que tu fais me plaît, même ton nom me plaît. Dans mon Casanova, j'ai appelé Mœbius un personnage de vieux médecin, d'herboriste, d'homéopathe, mi-magicien mi-sorcier ; c'était une façon de te montrer ma sympathie, ma gratitude car tu es formidable, mais je n'ai pas le temps de te dire combien et pourquoi.
Je suis en train de tourner à la cadence fiévreuse de toujours, ou, peut-être, cette fois-ci, un peu plus fébrilement que d'habitude, car des fois j'ai l'impression que ce film*, je ne l'ai pas encore commencé, d'autres fois il me semble l'avoir déjà terminé il y a longtemps : aussi je vis comme suspendu dans un de tes univers obliques sans pesanteur.
De t'envoyer cette lettre hâtive et décousue, je le regrette d'autant plus que la joie et l'enthousiasme que me donnent tes dessins, exigeraient de moi la plus grande précision, voudraient que je te dise tout, tout de suite et tout à la fois.
Laisse-moi te dire, au moins, qu'en découvrant ce que tu fais et ce que font tes camarades de Métal Hurlant, j'ai immédiatement retrouvé ce sentiment poignant, face à un rendez-vous merveilleux qui nous est périodiquement promis, que je n'avais connu qu'enfant, entre deux livraisons du Giornalino della Domenica, porteur du récit des aventures de Happy Hooligan et de The Katzenjammer Kids.
Quel grand metteur en scène ferais-tu ! Y as-tu jamais songé ?
Ce qu'il y a de plus étonnant dans tes dessins, c'est la lumière – surtout dans tes dessins en noir et blanc : une lumière phosphorique, oxhydrique, lumière de lux perpetua, de limbes solaires…
De faire un film de science-fiction, c'est un de mes vieux rêves. J'y pense depuis toujours, j'y pensais bien avant la mode actuelle de ces films. Tu serais sans doute le collaborateur idéal, cependant je ne t'appellerai jamais, car tu es trop complet, ta force visionnaire est trop redoutable : qu'est-ce que je viendrais y faire, dans ces conditions ?
C'est pourquoi, cher Mœbius, je ne te dis que ceci : continue à dessiner fabuleusement pour notre joie à nous tous.
Buon lavoro e buona fortuna
Federico Fellini
* Il s'agit de La Cité des femmes avec Marcello Mastroianni
Sources : Open Culture & Arte
Mœbius découvre la marijuana lors de son premier séjour au Mexique en 1955. Il y est initié par l'artiste Mario Falcone. S'il explique n'avoir jamais touché aux « drogues dures », il reconnait que le cannabis comme toute autre drogue est utile dans la créativité. Il considère qu'un artiste a besoin de sortir de lui-même pour s'approcher d'une véritable création.
Malgré tout, en 1978 il arrête sa consommation, car il se rend compte que la drogue entraine une dépendance psychique. La désaccoutumance ne présente pas de troubles physiques comme le tabac, contre lequel il lutte à un autre moment dans sa vie, mais de la souffrance psychologique. Pendant cette période de sobriété, l'auteur documente ses pensées et sa frustration, son inspiration comme sa non-inspiration, dans Inside Mœbius. Cet ouvrage s'approche d'un journal intime. L'auteur traite de son sevrage avec humour et désespoir, en même temps qu'il dépeint le monde qui l'entoure. Mœbius se moque de ses personnages, de sa propre personne, mais tout en réfléchissant à l'actualité. Le premier tome paraît en 2004. Lors d'un entretien accordé à Thomas Baumgartner pour France Culture, l'auteur explique qu'avec du recul il est plutôt content de la manière dont s'est passé son sevrage : "ça ne m'a pas déglingué".
« À L'école Les professeurs légitimes nous faisaient défaut. » confie Mœbius au micro de France Culture en 2005. Aux arts-appliqués, Mœbius et ses amis cherchent frénétiquement un tuteur, quelqu'un qui pourrait les guider dans leur désir de création. Joseph Gilain, alias Jijé, va incarner cette figure de maître à penser. Mœbius et Mézière sont très admiratifs de son travail sur Spirou et Jerry Spring : « Il enfiévrait notre imagination. »
Jijé habite à côté de Paris et Mœbius va à sa rencontre à plusieurs reprises. « C'était un type d'une gentillesse incroyable et habité par l'amour du dessin. Quand on se présentait devant lui, on était décrypté. » L'artiste devient le professeur mais aussi le père que Mœbius n'a jamais eu : « Ça a été une expérience émotionnelle tout autant que professionnelle. »
L'artiste est encore un petit garçon quand ses parents se séparent et que la Seconde Guerre mondiale éclate en France. Pendant cette période, Jean Giraud vit chez ses grands-parents à Fontenay-sous-Bois, le vaste jardin de fruits et de légumes alimentant la famille. Giraud échappe aux événements violents bien qu'il se souvienne des alertes à la bombe et des collisions entre les avions allemands et alliés. Très jeune, Giraud est connu comme « celui qui dessine ». Ses copains à l'école s'attroupent autour de lui tandis que sa grand-mère « très bonne mais peu avertie culturellement » glorifie l'enfant prodigue. « On a créé cette image de moi et je me suis fondue dans le moule ».
L'après-guerre est marqué par la diffusion de nombreuses revues de jeunesse. Les catholiques et les communistes s'engagent dans une conquête des esprits enfantins avec Fripounet et Marisette, Vaillant, Vif… Giraud alors âgé de 11 ans est abreuvé par ces lectures. Mais l'adolescent ne les considère pas seulement comme un divertissement. Il les scrute et décrypte la technique graphique ainsi que la construction scénaristique de ces planches.
À l'âge de quatorze ans, Giraud quitte l'école et entre à l'École des arts appliqués de Paris deux ans plus tard. Si l'école prépare plutôt à des métiers industriels, les professeurs ne manquent pas d'initier leurs élèves aux fondements de l'histoire de l'art. Jean Giraud y fait la rencontre déterminante de Jean-Claude Mézière. « On formait aux arts appliqués une petite cellule de copains liés par la bande dessinée. La plupart de nos compagnons méprisaient la BD car c'est ce qui les reliait à l'enfance. »
En 1955, la mère de Jean Giraud épouse un mexicain et part s'installer de l'autre côté de l'Atlantique. Giraud décide de la suivre : « J'étais parti pour les vacances et finalement j'y suis resté. J'avais l'impression d'y apprendre autant sinon plus qu'à l'école. J'ai découvert les artistes en action comme le peintre Marion Falcon. »
Jean Giraud rentre en France pour son service militaire. Vingt-huit mois qu'il va finalement passer entre l'Allemagne et l'Algérie, à dessiner car il est réquisitionné pour illustrer une revue militaire. « Une position d'artiste qui m'a permis de couper à certaines corvées quand même. Mon service je l'ai vécu comme une position d'artiste témoin. »
Giraud gagne en expérience et son dessin évolue. Quand il retourne en France après son service militaire en 1962, le jeune auteur va voir Joseph Gillain, surnommé Jijé. Jijé estime que Giraud est prêt à travailler comme dessinateur et lui propose une collaboration sur La Route du Colorado qui paraît dans Spirou. Cette proposition que Giraud accepte volontiers, ne marque pas seulement le début d'une coopération professionnelle, elle est le début d'une profonde amitié.
Après un an d'une initiation avec Jijé à travers la réalisation de La Route du Colorado, Giraud entre dans le monde professionnel. L'auteur illustre une encyclopédie des civilisations chez un petit éditeur : « Un boulot alimentaire mais qui m'a en fait beaucoup apporté. » Nombreux sont les artistes qui se font la main sur ce genre d'ouvrages.
Après cette expérience, il faut trouver autre chose. Giraud rencontre une des relations de Jijé, Jean-Michel Charlier, le co-directeur de Pilote. En 1963, ce dernier lui propose de travailler sur un western. « Je lui avais parlé timidement de la science-fiction mais ce n'était pas encore trop le truc de la maison. » Le succès de Blueberry vient rapidement. Jean Giraud confie que très vite, il a conscience d'avoir un « plus » : « Je trouvais qu'il manquait de l'ambition chez les artistes de BD, qu'il leur manquait quelque chose de cosmique. Mais à l'époque j'avais une attitude ambiguë. Je me présentais comme un auteur de bd traditionnel même si mon style trahissait le besoin de performance et d'inédit. » En effet, le jeune auteur est saisi par le besoin de créer ses propres histoires.
En 1960, il se rend au magazine Hara-Kiri pour présenter une première planche aux éditeurs. Son travail ne rencontre pas l'enthousiasme et on l'invite à proposer des histoires correspondant plus à la ligne éditoriale. Giraud répond au défi et c'est ainsi que ses premières seront publiées. L'Homme du XXIe siècle paraît en 1963, dans le 28e numéro du magazine.
Toutefois, après une dizaine de parutions en tant que Mœbius, Giraud est de nouveau plongé dans Blueberry et met entre parenthèses le développement de son double. Il continue à enrichir sa technique artistique en tant que Gir, une décision qu'il ne regrette pas car c'est grâce à cette dernière qu'il aura autant de facilité à enrichir Mœbius par la suite.
Mœbius se réveille notamment avec La Déviation, publiée dans le magazine Pilote en 1973. L'envie de briser les cadres a toujours été présente chez Giraud, mais il doit attendre la nouvelle génération de la bande dessinée pour franchir ce cap. Après avoir été formé par des maîtres de la bande dessinée traditionnelle dans une France qui est marquée par le souvenir de la guerre, Giraud rencontre des artistes comme Druillet et Gotlib qui révolutionnent le 9e art et lui montrent une nouvelle vision du monde. Le dessin s'aventure dans le rêve et le cauchemar et ouvre d'innombrables possibilités de création. Grâce à l'encouragement de cette nouvelle génération, Giraud ose lui-même créer ses propres univers de science-fiction et insuffler la vie à Mœbius.
Au cours de sa carrière, Moebius sera très souvent sollicité pour répondre aux questions des journalistes. Nous avons regroupé ici deux reportages où l'auteur s'exprime sur ses influences, son enfance et son travail.
Dans l'émission À voix nue sur France culture, réalisé par Thomas Baumgartner en 2005.
À voir aussi, le documentaire Un monde de bulles réalisé par Public Sénat en hommage à Moebius en 2012.
Cela fait plus de 40 ans qu'a été créé le désormais mythique magazine de science-fiction Métal Hurlant. En janvier 1975 les lecteurs découvrent pour la première fois les planches d'Arzach, signées Mœbius. Regroupées en un album désormais cultissime, Arzach (ou Arzak, Harzak, Harzack, selon l'humeur de l'auteur) marque une véritable révolution dans la bande dessinée de l'époque.
Mais expliquer Arzach, en rationaliser le concept, semble mission impossible tant il est difficile - et sans doute réducteur - de mettre en mots cette mixture graphique complètement délirante... Les mots, d'ailleurs, Mœbius s'en passe, et c'est à travers son dessin seul qu'il nous entraîne dans cette expérience onirique bien particulière, sur les traces d'un héros éponyme et de son "Ptéroide", qui traversent ensemble les courtes nouvelles graphiques qui composent Arzach. Seul fil conducteur de l'album, ces deux là nous baladent de nouvelles en nouvelles, et nous font visiter l'univers fantasque et poétique de Mœbius, un monde empli de trouvailles visuelles et d'images futuristes sur fond de désert.
Depuis 1976 et la parution aux Humanoïdes Associés, cet album mythique, Arzach a influencé les dessinateurs, bédéphiles, et artistes de tout horizon, générant hommages et créations.
Comme cette série d'animation créée, dessinée et réalisée par Mœbius himself, et diffusée par petits épisodes de quelques minutes sur France 2 en 2002.
Arzak Rhapsody :
Ou bien comme ces dizaines de bandes annonces réalisées par des fans, qui pullulent sur le net :
Ou encore comme cet album hommage, une collection de "fanarts" inspirés par le personnage d'Arzach. On y trouve notamment des illustrations de Richard Corben, Will Eisner, Joe Kubert, Mike Mignola, P. Craig Russell, Charles Vess... et bien d'autres !
Un peu de musique, avec un groupe bien électro qui a intitulé l'un de ses morceaux Arzach :
Et en bonus, le maître en action :
(La vidéo n'est pas de super qualité, mais ça reste sacrément impressionnant, non ?)
Et pour mieux comprendre les raisons du succès, voici un très bon dossier de du9.org à lire absolument...
Ce recueil de nouvelles drôles et insouciantes, a été publié pour la première fois en 1990, chez Les Humanoïdes Associés, mais a été dessiné sur des années. Il s'agit, pour la plupart de petites nouvelles, réalisées le soir, en dehors de tout travail de commandes, par un Mœbius voulant se détendre et se "reposer de dessiner". Pas de scénario préétabli, seulement une envie de prendre le crayon pour se "projeter [son] propre film, ou [se] faire son propre bouquin", qui prend son fond et sa forme au gré de la folie créatrice de l'artiste. Pas de fil conducteur entre toutes ces planches, donc, si ce n'est cette science-fiction délirante qui est la marque de fabrique de Mœbius.
(Couverture originale, 1990)
La plupart de ces nouvelles se présentent sous forme de gags d'une planche ou deux. C'est par exemple le cas de Split, Grand Hôtel B, L'Envahisseur, "ohn Watercolor, Y'a pas moyens, ou Fable-Vite 317.
Mais certaines ont pris plus de place, pour se développer sur une dizaine voire une trentaine de pages, comme Tueurs à gages, ou Escale à Pharagonescia, qui ouvre cet album : "Au départ ce ne devait être qu'une toute petite histoire, et puis elle a pris du poids d'elle-même."
Une vraie bouffée d'air que cet album, pour lequel les maître-mots de Mœbius ont été liberté et amusement. Encore un classique de chez classique à ranger dans sa bibliothèque à la lettre M, entre Magique et Mythique !
Et comme on vous avait promis des surprises autour des rééditions des albums de Mœbius (et qu'on n'est pas des menteurs !), on vous offre un nouveau fond d'écran à télécharger ici !
Le Garage Hermétique paraît chez Les Humanoïdes Associés en 1979 (sous le titre Major Fatal), après avoir été publié dans Métal Hurlant la même année.
Cet album met en scène le Major Grubert, explorateur et homme de sciences, qui, à partir d'un astéroïde, crée un monde, le garage hermétique, organisé en 3 niveaux. De là, l'imagination de Mœbius peut se déployer pour inventer peuple, faune, technologie, et héros de ce nouvel univers. Comme Jerry Cornélius, qui cherche justement à envahir ce fameux garage.
Jerry Cornélius, Jerry Cornélius... Si ce nom vous est familier c'est peut-être que vous avez déjà croisé ce personnage récurrent de S-F, créé par Moorcock et régulièrement réutilisé par de grands auteurs du genre !
Le Major:
Jerry Cornélius :
(Dites, c'est moi où le personnage de Jerry Cornélius ressemble étrangement à une célèbre rockstar ?)
Et comme souvent avec Mœbius, cette nouvelle histoire a été conçue de manière originale, et quelque peu hasardeuse :
" La genèse du "Garage Hermétique" n'est pas très orthodoxe. A l'époque, je me trouvais dans des états un peu exaltés... Je rentrais à toute vitesse à la maison pour dessiner une page, parfois deux, tard dans la nuit, jusqu'à tomber d'épuisement. Au matin je pouvais me retrouver devant des planches absurdes ou inintéressantes, mais parfois il m'arrivait d'en compléter certaines pour en faire des récits de quatre ou six pages. "Le Garage" a commencé comme ça. Dans mon esprit, les deux premières pages n'étaient qu'une plaisanterie graphique, une blague, une mystification qui ne pouvait, ne devait mener à rien, qui n'avait aucune suite. [...] Une fois achevées, j'ai rangé ces deux planches dans un tiroir et je les ai oubliées.
Elles auraient pu y dormir à jamais si Jean-Pierre Dionnet, alors rédacteur en chef de "Métal Hurlant", n'avait pas eu l'habitude de fouiller dans mes tiroirs lorsqu'il venait chez moi. Il les découvrit, les emporta, et me demanda d'y ajouter un petit complément qui pût faire office de suite et de fin à cette histoire. J'ai dit oui. Il publia les deux pages et, peu avant la sortie du numéro où le complément devait paraître, m'appela pour s'inquiéter de la livraison. Naturellement je n'avais rien fait. Ce fut la panique. J'ai du travailler comme un forcené pendant deux jours, mais n'ayant pas conservé de photocopies des deux premières pages, j'en ai dessiné deux autres dont le cohérence n'était pas garantie.
Toute l'histoire a été plus ou moins réalisée dans cette espèce de panique décousue...
"(Mœbius dans l'Avant-propos du Garage Hermétique, édition 2006)
Cet album est donc l'exemple-type d'une BD réalisée sans scénario préétabli, l'expérimentation d'une improvisation totale et débridée, une expérience jusqu'alors sans équivalent dans la bande dessinée.
Graphiquement, on trouve un peu de tout dans ce fourre-tout mœbusien : strips ou pleines-pages, dessins extrêmement précis et travaillés ou d'autres beaucoup plus simples et dépouillés, style réaliste ou caricatural. Scénaristiquement, l'ensemble n'est pas plus cohérent (et comment pourrait-il l'être !) : humour et absurde côtoient aventure et héroisme, horreur et suspense sont aussi de la partie, et bien sûr, science-fiction mystique et philosophie ont également la part belle. Intéressant et déstabilisant.
Réédition en N&B, à paraître le 24 août 2011.
Et en bonus, le wallpaper du Garage.
...
Au fait, vous avez trouvé de qui ont été inspirés les traits de Jerry Cornélius ?
Jerry Cornélius = Patti Smith !
Cauchemar Blanc, paru en 1977 chez Les Humanoïdes Associés, est un recueil contenant une dizaine de nouvelles, d'abord publiées dans les divers journaux pour lesquels Mœbius a l'habitude de travailler (Pilote, L'Echo des Savanes, Métal Hurlant,...).
On y découvre un Mœbius politiquement conscient et engagé, plus grave qu'à son habitude, sans pour autant se débarasser de cet humour loufoque qui caractérise l'ensemble de son oeuvre. Il y a par exemple "Variation 4070", sur le thème de l'arme atomique, qui nous dépeint le monde après l'explosion de la bombe...
Et puis il y a Cauchemar blanc, inspiré d'un fait divers de 1974, qui raconte une ratonnade organisée par quatre blancs pour tabasser un "bicot", sous les yeux des habitants d'un immeuble qui assistent à la scène de derrière leurs fenêtres...
Cette bande dessinée inspire Matthieu Kassovitz qui l'adapte et signe là son "premier court-métrage « professionnel à gros budget »".
On y retrouve notamment, dans les rôles de deux des racistes, Yvan Attal et Jean-Pierre Darroussin :
Un billet à ne pas mettre sous tous les yeux (les enfants, retournez jouer aux toupies BeyBlades -eh oui, Pokémon c'est dépassé !), pour présenter rapidement Le Bandard Fou, histoire "porno mais graphique", qui a été réédité en 2011.
Le bandard fou ? Mais qui donc peut se cacher derrière un surnom pareil ?
C'est un "érectomane" patenté, et plutôt bien équipé, que Mœbius nous présente là. Mais sur la planète Souldaï du Cygne, la loi est claire : tous les habitants mâles se doivent d'honorer à chaque automne la pondeuse (femelle verte et monstrueuse, énorme et dégoulinante, bref, ultra-sexy !), et de n'honorer qu'elle. Hors cette période imposée de reproduction, manifester quelques signes de désir charnel (jolie expression pour signifier "avoir une érection", n'est-ce pas ?) est absolument interdit. Mais difficile, pour notre bandard fou, d'aller contre la nature, et c'est pour ce crime qu'il est poursuivi par la PAF, Police Anti-Foutre. Comment va-t-til s'en sortir ?
Provocant mais plein d'humour et graphiquement délirant !
Paru aux "éditions du fromage" (qui publient par ailleurs le sulfureux Echo des Savanes) en 1974 :
Réédité chez Les Humanos en 1976 :
Puis en 1990 :
... ou Chroniques chaotiques ?
(Chaos, première édition en 1991)
(Chroniques Métalliques, première édition en 1992)
Deux recueils d'illustrations couleurs de 88 pages, le premier présentant les dessins et recherches thématiques du Moebius des années 70 et 80, le second regroupant les diverses illustrations, dessins, et couvertures réalisées pour le magazine Métal Hurlant entre 1975 et 1987.
Le premier pour suivre son évolution artistique, qui abandonne progressivement le figuratif pour exploser en peinture au profit du chaos à la fin des 80s, le second pour se souvenir de son parcours de fondateur et d'éminent dessinateur du magazine qui a changé le cours de la bande dessinée de science-fiction en France.
En tout cas, les deux pour en prendre plein les yeux !
Quelques illustrations extraites de Chaos :
Et quelques illustrations extraites de Chroniques Métalliques :
Au début des années 80, Jean Giraud alias Gir alias Mœbius a déjà publié, sous l'un ou l'autre de ses pseudos, plusieurs séries ou albums immédiatement reconnus comme des oeuvres majeures de la BD : Blueberry, Arzach, L'Incal...
Non content de dessiner, il se tourne aussi vers le cinéma qui lui fait les yeux doux, et collabore notamment à la réalisation de grands films de SF (Alien, Tron, Les Maîtres du Temps, Abyss, ou Willow) pour lesquels il imagine décors ou personnages.
Pour des raisons pratiques, Mœbius part s'installer quelques temps à Los Angeles. Il en profite pour traduire ses précédentes œuvres qui paraissent en 1986 chez Marvel, et l'on retrouve bientôt sa plume dans un double épisode du Surfer d'Argent, le super héros légendaire de Stan Lee.
(Parabole, par Stan Lee & Mœbius. Paru en France chez Casterman puis Soleil.)
Cette incursion chez l'Oncle Sam lui permet d'asseoir sa réputation internationale, et Mœbius peut se targuer d'avoir influencé quelques uns des plus grands auteurs de comics US, tels Mike Magnola ou Jim Lee (et bien d'autres qui lui rendront hommage dans Visions of Arzach).
Les éditions françaises dites "USA" parues chez Les Humanoïdes Associés en sont le rappel : celles-ci reprennent les sommaires des éditions de Marvel, et ceux des albums qui étaient originellement en noir et blanc ont pris de la couleur.
Aux Humanos, la salle des archives regorge de documents étranges et magiques. Nous essayons autant que possible de montrer ici les raretés que nous retrouvons parfois. On y trouve toutes sortes de livres, revues, photos, calendriers, posters... Tout ce que nous avons pu éditer depuis 43 ans, et parfois même des bizarreries dont personne ou presque n'avait entendu parler. En 2009 nous eûmes la divine surprise de trouver sur un rayon isolé le story-board intégral du projet américain d'adaptation du Garage hermétique de Moebius. Ce gros livre vert de 400 pages, magnifiquement relié, édité en 1991 par Starwatcher Graphics, est signé entre autres par Moebius et Randy Lofficier, scénariste du projet. Il comporte une sérigraphie couleur de Moebius, et a été tiré à 15 exemplaires. En voici un court extrait.
Dans la collection Mœbius classique :
Dans la collection Mœbius USA :
Recueils d'illustrations :
Avec Alexandro Jodorowsky :
L'incal :
Après L'Incal :
Et pour aller plus loin dans l'univers de L'incal :
Avant L'incal (Jodorowsky/Janjetov)
Après L'incal (Jodorowsky/Ladrönn)
Final Incal (Jodorowsky/Ladrönn)
La Caste des Méta-Barons (Jodorowsky/Gimenez)
Les Armes du Méta-Baron (Jodorowsky/Janjetov/Charest)
Castaka (Jodorowsky/Das Pastoras)
C'est un euphémisme que de dire que Jean "Mœbius" Giraud a influencé beaucoup d'artistes, et des dizaines d'entre eux ont souhaité lui rendre hommage.
Boulet
Alex Orbe
Andy Kuhne
Jason Latour
Akeno Omokoto
Loopydave
Tim Hamilton
Lolmède
Matt Dunhill
Kélilan
Philippe Scoffoni
Birdy Nam Nam, les petits génies français des platines, ont sorti pour leur album de 2009, un clip accompagnant leur titre The Parachute Ending, produit par Justice. Réalisé par Steve Scott et Will Sweeney (allez voir leurs sites respectifs, il y a plein de jolies choses), ce court-métrage animé navigue dans des ambiances totalement psychédéliques, très 80′s, qui évoquent notamment l'univers d'Arzach de Moebius.
Une fidèle lectrice nous a envoyé ces photographies de graffitis en hommage à Mœbius et son univers, qu'elle a découvert au coin d'une rue de Londres.
Nous ne pouvons résister à l'envie de les partager avec vous tous !
Il s'agit de l'artiste Probs de la compagnie The End of the Line.
La
disparition de Jean Giraud, également connu sous son pseudonyme
Mœbius, en ce samedi 10 mars 2012, a plongé l'équipe des
Humanoïdes Associés dans une immense tristesse.
Co-fondateur avec
Philippe Druillet, Jean-Pierre Dionnet et Bernard Farkas, de cette
maison d'édition et du magazine Métal Hurlant en 1974,
Jean Giraud est l'un des géants de la bande dessinée, dont
l'œuvre a contribué à hisser le genre au rang d'art majeur.
Les Humanoïdes Associés rendent un hommage ému et sincère à ce
très grand créateur.
Né
en 1938 à Nogent-sur-Marne, Jean Giraud entame sa carrière en 1955
en publiant des illustrations et des bandes dessinées dans des
magazines pour la jeunesse.
En
1958, la route de Jean Giraud croise celle de Jijé, pilier du
journal Spirou et auteur entre autres du western Jerry Spring.
Cinq ans plus tard, c'est Jijé qui le recommande pour réaliser
une nouvelle série western, Fort Navajo. Cette bande dessinée
écrite par Jean-Michel Charlier et publiée dans Pilote,
connaîtra un très grand succès à travers son héros, Blueberry.
Charlier et Giraud travailleront ensemble jusqu'à la disparition
de Jean-Michel Charlier en 1989, après quoi Jean Giraud reprendra
seul les aventures de Blueberry qui représentent le versant
classique et populaire de son œuvre.
C'est
dans Pilote, mais plus encore dans Métal Hurlant que
se met en route dans les années 70 la révolution Mœbius. Avec
Arzach, bande dessinée muette ou avec Le Garage
hermétique, improvisé avec grâce de mois en mois, Mœbius
transcende les genres, libère l'imaginaire, et crée un style
graphique qui va marquer plusieurs générations et influencer les
dessinateurs du monde entier.
Une
autre rencontre, avec le cinéaste, écrivain et homme de théâtre
Alexandro Jodorowsky, va donner naissance à un grand succès mondial
de la bande dessinée : Les Aventures de John Difool
(1980) également connu sous le titre L'Incal.
Mœbius
part pour Los Angeles en 1984 où il participe entre autres à de
nombreux films (Alien, Willow ou The Abyss). La
collaboration avec Alexandro Jodorowsky se poursuit après L'Incal
avec, à partir de 1992, la trilogie de La Folle du Sacré-cœur.
Mais
Mœbius ne s'arrête jamais de dessiner et de créer tous azimuts
(Jim Cutlass, Le Monde d'Edena, et même des épisodes
du Silver Surfer). Pour la maison d'édition de sa femme,
Stardom, il réalise de nombreux livres, se mettant notamment
en scène dans ses propres dessins. De 2004 à 2010, il publie ainsi
six tomes d'Inside Mœbius.
Son
œuvre parue chez Les Humanoïdes Associés est continuellement
rééditée avec succès. Par ailleurs, certains des personnages
créées par Mœbius et Jodorowsky ont été repris dans des séries
dérivées, tel le best-seller mondial La
Caste des Méta-Barons,
dessiné par Juan Gimenez, ou plus récemment la suite (et fin) de
L'Incal,
dessinée par le prodige mexicain et disciple de Mœbius, José
Ladronn.
En
2010, c'est la Fondation Cartier qui lui rend hommage à travers
une grande rétrospective intitulée « Mœbius trans-forme ».
À cette occasion, le public a découvert un film d'animation 3D
adapté de La Planète encore, parfaite transposition de
l'univers de Mœbius pour le grand écran.
Créateur
de mondes inouïs sous le pseudonyme de Mœbius aussi bien que
dessinateur ayant apporté un achèvement dans le style classique
avec Blueberry, génie protéiforme, Jean Giraud n'a jamais
cessé tout au long de sa carrière de chercher, d'expérimenter et
d'innover.
Au lendemain de l'annonce de sa mort, Antoine de Caunes et Enki Bilal ont évoqué leurs souvenirs de cet "immense immense artiste", et rappelé l'influence de son oeuvre au micro de RTL. De Caunes confie d'ailleurs que c'est Mœbius qui lui a donné des envies de cinéma...
Pour écouter cet hommage, suivez-le lien.
Les Humanoïdes Associés
Metal Hurlant